LE HUAYNA POTOSI - LE CAUCHEMARD DE L'ASCENSION VERS LE SOMMET

Publié le par Ludovic

Mario vient nous réveiller à 23h45. Il me faut une bonne demi-heure pour mettre tout l'équipement : 3 épaisseurs de pull, un sous-pantalon thermique, un pantalon normal, la combinaison étanche, les chaussures, les gants, les guêtres, la cagoule thermique, et le baudrier.

Je me sens bien physiquement et moralement, et je prend juste un maté de coca avec une tartine de confiture avant de partir. Je vais au début du glacier pour enfiler mes crampons, et Mario prépare la cordée. Il est en premier, je suis derrière lui, Christophe est derrière moi, et Paulino, notre deuxième guide, ferme la marche. C'est parti pour presque 1000 mètres d'ascension qui devrait durer 6-7 heures.

Nous entamons la marche sur une langue de neige dure, dont la pente est déjà bien raide. Il n'y a pas besoin d'utiliser les torches frontales car la Lune, presque pleine, éclaire la montagne d'une pâle lueur blanchâtre que la neige reflète suffisamment pour nous permettre de voir le paysage. Pas un souffle de vent, juste le bruit de la neige qui crisse sous nos pieds. L'atmosphère est mystique.

Au bout de 20 minutes, je sens que mon estomac ne va pas bien. Je me demande si nous ne sommes pas parti un peu vite après le petit-déjeuner, mais rien de gênant. Un léger mal de tête reprend mais c'est normal car l'altitude augmente. Une fois en haut du glacier, nous faisons une pause, puis nous traversons un immense champ de neige en légère montée sur 500 mètres, avant que la pente reprenne de plus belle. Ca devient vraiment dur, mes jambes sont lourdes, les muscles des mollets douloureux, mes pieds sont gelés, et j'ai de plus en plus de mal à reprendre mon souffle. Je dois faire des tout petits pas pour arriver à avancer. A ce moment là, j'essaye de ne penser à rien, j'oublie toutes mes sensations, et j'avance tel un zombie dans la neige, mon piolet dans une main et la corde dans l'autre. Malgré cela, nous doublons deux autres cordées qui étaient parties avant nous.

Nous sautons une crevasse, et le chemin prend la direction d'une paroi de glace que nous allons devoir escalader. J'ai besoin de faire de plus en plus de pause, et à chaque fois, je dois lutter pour repartir. Mario, me demande souvent si je suis OK, et je répond toujours pas l'affirmative même si ce n'est pas vrai. Je veux aller au bout. Le mal de ventre me coupe les jambes, et je décide de me faire vomir (pas besoin de forcer) en espérant que c'est juste le petit-déjeuner qui ne passe pas. Aussitôt, je me sens un peu mieux et nous repartons.

Arrivée au pied du mur de glace, il faut patienter 15 minutes que le guide installe la corde et que je puisse me lancer à mon tour. Pendant ce temps, le froid pénètre mes 4 couches de vêtements. Les crampons permettent d'accrocher la glace suffisamment longtemps pour que je lance mon piolet, et que je me hisse un peu plus haut à chaque fois. C'est éprouvant mais c'est vraiment génial.

Nous marchons depuis 4 heures, et le sommet me semble encore loin. Nous reprenons la marche dans une pente ou la neige est plus molle. La nausée reprend, et à chaque pas, je dois faire appel à toute ma volonté pour lever mes jambes. La situation devient critique, car j'ai besoin d'une pause tous les 150 mètres. Quand le guide me demande si je veux continuer, je fais mine de ne pas l'entendre, et je donne le signal du départ dans un effort surhumain pour me relever. 100 mètres plus loin, je m'effondre à nouveau : j'ai l'impression que mon cerveau va exploser. A chaque respiration, les poumons me brûlent comme ça ne m'était jamais arrivé auparavant, l'envie de vomir est revenue, plus forte, et mes jambes de veulent plus obéir. Malgré toute la volonté et l'énergie que j'essaye d'aller chercher au fond de moi, tout mon corps dit "non". Je fixe le sommet pendant quelques secondes, et je m'entend dire alors "je redescend".

Mario me sépare de la cordée et continu avec Christophe. Paulino me fait passer devant et je reprend péniblement la marche en sens inverse. Alors que nous traversons le grand champ de neige plat, j'aperçois le camp au loin.



Je réalise alors vraiment pour la première fois depuis que j'ai prononcé mes dernière paroles de la nuit ce que je suis en train de faire. Et là, le craque, je pleure de déception. Je n'ose pas me retourner pour regarder le sommet qui commence sûrement à rougir avec les premières lueurs du soleil.
Les photographies suivantes ont été réalisées par Christophe lors de sa descente.







Dès que j'arrive au camp, je me fourre dans mon sac de couchage et j'essaye de dormir pour ne plus y penser. Sans succès. Je me sens physiquement mieux, mais moralement, c'est autre chose...  Quand les autres reviennent, je ne leur posent pas trop de questions, je préfère ne pas savoir ce que j'ai raté. A 10h00, nous refaisons nos sac, la tente est pliée, et nous prenons le chemin du camp de base. A 14h30, nous sommes de retour à La Paz. je retourne à l'hôtel ou j'ai laissé mes affaires, Christophe prend aussi une chambre, et nous retrouvons Jérôme qui a fait l'ascension en 2 jours.

L'après-midi est chargé : je dois retirer de l'argent, aller sur internet pour gérer mes comptes, prendre une assurance pour les 6 prochains mois, et surtout, je dois acheter mon billet de bus pour partir à Sucre dès demain. Mais une fois à la gare, j'apprend qu'il n'y a aucun départ possible en raison du blocage de la route par des manifestants. Les élections présidentielles sont dans 15 jours, et les revendication populaires vont bon train. Génial ... j'avais bien besoin de ça aujourd'hui. La seule solution consiste à faire un long détour par Cochabamba, d'où je pourrai prendre un autre bus pour Sucre.
Le soir, je vais prendre un verre avec Christophe et Jérôme. Je décide d'attendre encore  un jour pour partir de La Paz. De toute façon, il y a de quoi s'occuper ici.

Publié dans Bolivie

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G
edit<br /> <br /> désolé il y a eu coupure dans le commentaire du dessus. Après Titicaca, il faut lire :<br /> <br /> Puis on a enchaîné sur un trek dans la Cordillera Real, passage de cols à 5000, je courrais littéralement !<br /> L'ascension du huyana potosi n'était finalement qu'une formalité (d'un point de vue physique)<br /> <br /> je suis désolé...<br /> guillaume
G
salut !<br /> <br /> je tombe sur ton blog par hasard, je prépare actuellement un voyage au chili.<br /> <br /> Curieux, j'ai regardé rapidement ton trip en Bolivie. J'ai également tenté le Huyana Potosi un an auparavant. Apparemment tu manquais d'acclimatation. D'entrée j'avais passé une semaine sur l'altiplano où chaque petit sommet était un enfer à grimper, puis une descente à Potosi/Sucre avant de repartir marcher en autonomie vers Titicaca pendant quelques jours. Puis on a enchaîné sur un trek dans la rlittéralement !<br /> L'ascension du huyana potosi n'était finalement qu'une formalité (d'un point de vue physique), on pétait la forme (là où tu décris avoir les pieds gelés on était hyper bien par ex). Sauf que, la rimaye à 5700 était ouverte, trop. Ajoutons à cela de la neige fraîche puis trop de soleil, les conditions étaient pourries, pas pour la montée, mais pour la redescente.<br /> Idem on a fait 1/2 tour, sur l'insistance de ma compagne de cordée, et devant le peu d'envie du guide de continuer. Si je m'étais trouvé avec quelqu'un de plus téméraire, on y serait allé. Mais peut être pas revenu.<br /> Tu as fait le bon choix ! Même si sur le coup c'est dur. <br /> <br /> en tout cas je vais m'attarder un peu sur ton carnet de voyage très sympathique, je saute sur la section chili ;-)<br /> <br /> enjoy<br /> <br /> guillaume
L
Bonjour<br /> Je viens d'entendre une chronique sur France info, parlant de ton blog que je m'empresse de consulter !<br /> Quelle invitation au voyage, tes photos sont superbes et ca fait rever. Meme si avec une connection bas debit on a malheureusement pas le temps de tout regarder :-((<br /> Mais je te contacte surtout au sujet de ton ascension du Huayna Potosi, en effet en attendant de sauter le pas du TDM peut etre un jour, nous partons 25 jours en Bolivie la semaine prochaine (5 aout 2006) pour tenter aussi cette ascension (ainsi que celle du Pequeno Alpamayo et Uturuncu). La description que tu fais est tres realiste et ca nous fais un peu peur ! Manque d'entrainement , d'acclimatation , de chance ? C'est vrai qu'a cette altitude la montagne dicte sa loi. Physiquement comment est l'ascension : difficile ou non , et techniquement ? Il semble y avoir des passages assez durs , quand tu decris le franchissement du mur de glace par exemple , quelle experience avais tu en haute montagne avant cette ascension ?<br /> Enfin , si c'est vraiment trop dur nous ferons aussi demi tour, c'est la regle. Nous avons deja fait le Mont Kenya et le Kili l'an passé, et il est tentant d'en ajouter toujours plus à notre petit palmares ..!<br /> Une dernier petite question : comment c'est passé ton retour dans "la civilisation" , pas trop dur ??? Ca doit etre l'enfer de reprendre le train train quotidien apres un an comme ça ?<br /> <br /> A+<br /> Laetitia de Blois (41)
L
L'ascension du Huyana Potosi n'est pas techniquement dificile pour qui a l'habitude de faire du trekking, et la seule paroie de glace qu'il faut escalader reste du domaine du "plaisir "si on arrive pas trop fatigué a son pied. Ce qui change du Kilimanjaro, c'est le fait d'etre dans la neige pendant  6 heures a haute altitude. Ca colle au pied,  on s'enfonce, ca fatigue pas mal, c'est sur. La montéee étant rapide, il faut aussi bien préparer son acclimatation, en restant quelques jours à La Paz, puis en allant par exemple fait un aller-retour a Chacaltaya (> 4500 mètres) dans la journée et ensuite seulement, partir au Huyna Potosi. Ce fut mon erreur de ne pas le faire je pense.<br /> Pour le retour, l'atterrissage se fait en douceur, mais l'action du voyage me manque un peu quand même.
S
et bien, que de soutien... en meme temps, tu le mérites, avec ce que tu nous fais partager...<br /> et puis, de telles décisions restent aussi comme des moments forts de ton voyage... plus orts que si tu l'avais réussi avec facilité... (quoi.. ça ce n'est que mon expérience..)
L
Merci a tous pour votre soutien. Vous pouvez etre sur que le prochain  6000 m que je croise sur ma route, je me le farci aux ptits oignons ... J´y passerai le temps qu´il faut cette fois !
E
Lulu,<br /> <br /> Fais gaffe à ton cul...<br /> <br /> On l'aime. ;-)<br /> <br />
A
je comprends ta déception, la même chose est arrivée à un couple de copains au Pérou : vomi, pleurs et tout le tralala. En tout cas sache que nous te remercions tous pour la façon dont tu nous fait vivre ton voyage dans les textes et les images. C'est un vrai régal !!
N
salut coco! sage décision, il ne faut rien regretter, t'as fait le bon choix. t'auras l'occase de te refaire une petite ascencion dans le Lipez! et puis faut voir le bon côté, il te reste l'objectif de repasser cette barre!<br /> bon we
J
Merci à Christophe pour les photos, quant à toi Ludo ne vas pas au bout de tes limites, car ton tour du monde n'est pas fini.....et tu as encore de beaux moments devant toi.
J
Bonjour Ludovic, j'avais lu dans ton dernier post que tu allais gimper le Huayna Potosi, et j'attendais avec impatience de tes nouvelles car je suis un fan de la montagne. Je comprend bien ton sentiment de deception car j'ai du moi aussi abandonner des ascencions fabuleuses au Nepal et au Perou. Mais la nature sera toujours plus forte que l'homme. Merci de nous avoir fait partager ce moment d'emotion, ton recit est genial ! <br /> je voulais aussi te dire que j'ai fait du secourisme en altitude et je peux te dire que tu a pris la plus sage decision pour toi et la suite de ton voyage. Tu presentais les symptomes d'un debut d'oedeme pulmonaire et cerebrale, avec les consequences que tu connais surement ... Profites bien de la suite de ton voyage.<br /> <br /> Amicalement.<br /> JB